Vous avez vu le Trooping the Colors ? Moi, oui ! J'avais repéré la retransmission (en différé) de la chose dans le programme TV. Et, avec candeur, je l'ai signalé à mon épouse.
C'est une grande parade militaire à l'occasion de l'anniversaire officiel de Sa Grâcieuse Majesté. Ma femme adore ! Je la suspecte parfois de rêver être la Grande-Duchesse de Gerolstein. Le scénario est immuable et terriblement british.
Moi j'aime surtout quand il pleut à verse, leur flegme proverbial est alors mis à rude épreuve. Mais bon, cette fois-ci, il faisait beau, on pouvait voir les uniformes chatoyer, les cuirasses rutiler, les sabres jeter des éclairs (contrairement aux baïonnettes, traitées anti-reflet, quel anachronisme sournois).
Comme chaque année, gros succès des King's Troops et, comme chaque année, je signale à mon épouse qu'un beau(?) jour, j'ai porté un uniforme du même acabit. En effet, dans une de mes nombreuses vies, je fus artilleur. Planchette, plus précisément. Ouais... ça fait tout de suite moins chic ! Dans mon pays, au temps où le service militaire était obligatoire, les chimistes étaient versés dans l'artillerie, ça leur évitait de changer de Saint tutélaire (et même, en l'occurrence, de seins tutélaires, vive Sainte Barbe ! Bien qu'à l'époque, j'étais imberbe).
Un jour, donc, je suis désigné volontaire (vous savez comment ça se passe dans l'armée) parce que, dans ma chambrée, c'était moi qui entrais le mieux dans le dernier costume disponible. Il s'agissait, avec quelques copains, de se farcir une garde d'honneur à une réception quelconque en tenue de parade ancienne : uniforme bleu marine, futal à bande rouge, veste à brandebourgs, toque en astrakan, jugulaire dorée, plumet ridicule, un truc qui devait dater de 1890 environ (ou une copie de la chose, je ne sais trop). Toujours est-il que je suis heureux que l'époque n'était pas aux appareils photo digitaux, ça m'évite d'être encore plus ridicule que d'ordinaire. Je vous en montre un pas tout à fait pareil, mais à cheval.
Le petit air de famille entre l'ancien uniforme des artilleurs belges et celui des King' Troop n'est pas fortuite, le premier roi des Belges était l'oncle de la reine Victoria.
Bien entendu, la seule chose qui vous inquiète dans tout cela, ce n'est pas ma prestance en uniforme de gala mais plutôt l'endroit où l'on pouvait bien clouer cette foutue planchette dont je vous parlais.
Vous me verriez bien crucifié hein ! Vous n'aurez pas cette joie. Le mot désignait simplement les membres du bureau de tir qui calculaient le réglage des obusiers (charge, azimut, hausse). Pourquoi planchette ? Parce que nous étions assis devant une sorte de planche à dessin sur laquelle était fixée une feuille avec quadrillage de coordonnées sur laquelle la batterie, les objectifs et les obervateurs étaient représentés par de petites épingles de couleurs. Les calculs étaient effectués avec l'aide d'une espèce d'éventail-rapporteur en plexi et de tables de corrections, le tout d'origine américaine.
En procédure normale, après un premier tir, l'observateur nous signalait par radio où l'impact se situait par rapport à la cible vu de sa position. Le jeu consistait alors à déplacer l'épingle représentant l'objectif à l'inverse de cette information et à recommencer les calculs jusqu'à ce qu'on tire pile sur la cible.
Ce genre de réglage de tir se faisait avec une seule pièce. Une fois le réglage effectué, il fallait aussi calculer les variations de réglage en fonction de la position des différentes bouches à feu sur le terrain pour pouvoir procéder à un tir de batterie. Simple, non ?
Le plus marrant, c'était la procédure de tir a posteriori. La description ci-dessus ne vaut que si vous connaissez la position exacte de votre pièce de réglage sur la carte. Si vous n'en savez trop rien, voici comment faire : vous choisissez un objectif de position précisément connue : un édifice public, une église, un monument (historique de préférence). Et vous commencez le tir de réglage. Au lieu de déplacer l'épingle de la cible au fil des corrections, vous déplacez celle de la pièce. Et quand vous touchez le bâtiment choisi...
Vous savez où vous vous trouvez exactement ! C'est pas beau ça ?
L'inconvénient, c'est que pendant que vous procédez à cette petite mise au point préliminaire, l'ennemi a repéré votre position soit à l'éclair de vos tirs, soit à leur fumée et vous pulvérise avec sa propre artillerie qui, n'étant pas belge, sait parfaitement où elle se trouve, elle.
Le seul avantage, c'est que contrairement à nous, l'ennemi, lui, est toujours fictif (dans mon expérience personnelle en tout cas).
Voilà ! Si vous êtes sages, je vous raconterai peut-être la guerre atomique.