J'étais bien décidé à vous raconter Maria (à l'enthousiasme général de... Janeczka) quand ce matin, la radio m'informe que le chargement d'un premier train de protons dans le LHC (Large Hadron Collider) du CERN était pour aujourd'hui. L'accident majeur prévu par certains n'est pas encore pour ce jour puisque, pour l'instant, ces protons constituent la charge d'un sens de rotation et ne risquent donc pas d'en rencontrer d'autres tournant en sens inverse (ce qui est le but ultime de l'engin).
À cette annonce, ma pensée est allée directement vers notre "premier de classe" d'Humanités. La dernière fois que nous nous étions rencontrés, nous fêtions, dans un restaurant montois, le vingt-cinquième anniversaire de notre sortie de l'Athénée. À cette occasion, il nous avait dit, lui qui était rentré de Genève tout exprès pour la circonstance, son désespoir de voir engloutir dans le béton la quasi totalité de la dotation du CERN. Il participait en effet activement à la construction sous le Jura du tunnel de vingt-sept kilomètres destiné à accueillir le LEP (Large Electron Positron collider), prédécesseur du fameux LHC. Les accélérateurs se succèdent dans le même terrier, comme de vulgaires lapins.
Ce qui m'intéresse dans tout cela n'est pas la chasse au boson de Higgs, ni la théorie des cordes chère à Lois de Murphy, mais tout simplement le souvenir de cette rencontre.
Mes condisciples et moi-même constituions une des pires classes qu'ait connu le vénérable Athénée Royal de Mons. Certains, parmi la gent surveillante, n'étaient pas loin de voir en nous une sorte d'association de malfaiteurs. Notre réputation au sein de l'établissement était telle que le jour où le quartier avait subi une rupture générale de courant, un des surveillants s'était précipité dans notre classe pour nous demander ce que nous avions encore bien pu inventer !
Comme, j'imagine, toutes les classes de rhétorique, parvenus au bout de cette étape et, copains comme cochons que nous étions, nous nous quittons en nous promettant de ne jamais nous oublier et de garder le contact. Conséquence : vingt-cinq ans de silence radio (c'est pareil pour vous ? Je m'en doutais un peu).
Un beau jour de 1984, mon ami Francis (mon frère avait épousé sa sœur et nous nous croisions donc de temps à autre) me demande s'il ne serait pas temps, après vingt-cinq ans, de nous rappeler au bon souvenir de nos petits camarades. Nous étions déjà deux, nous voici partis à la recherche des autres.
De proche en proche, nous avons fini par retrouver tout le monde, vivant, et avons opté pour un repas dans un grand restaurant de Mons, en compagnie de nos éventuelles épouses (ou concubines, une denrée plutôt rare à l'époque).
Nous voici donc, joyeux organisateurs, accueillant tout ce petit monde dans un des salons du Restaurant Devos. Mon épouse, témoin aussi impartial qu'extérieur à notre groupe d'ex-potaches, relate volontiers la chose comme suit : "Ils se sont regardés quelques courts instants, puis se sont subitement métamorphosés en une bande de sales gamins !"
Ce qui m'a frappé, moi, c'est qu'excepté sur le plan physique bien sûr, personne n'avait changé. Vingt-cinq ans n'avaient pas sorti Leich de son splendide isolement puisqu'il avait répondu à notre invitation que ça ne l'intéressait pas. Déjà au temps où nous semions la débandade à travers tout l'établissement, il nous contemplait l'air consterné. Il faut reconnaître que, même dans le triste événement du manche de brosse (mais ceci est une autre histoire), il a subi pendant des mois le "traitement de faveur" résevé à toute la classe alors qu'il n'y était évidemment pour rien et savait tout aussi bien que nous ce que le Proviseur s'épuisait à nous faire cracher.
Mons a toujours été une ville où garer une voiture relève du miracle. Raison pour laquelle, vers les cinq heures du matin, après avoir fait la fermeture des divers cafés que nous fréquentions au temps de nos études, nous avons dû, en récupérant nos véhicules dispersés dans ses divers quartiers, réveiller toute la vieille cité du Doudou.