J'aurais dû me méfier
Déjà, quand j'ai pénétré dans le hall de l'école de Louise et qu'un gamin d'environ sept ans s'est écrié à l'adresse d'un copain caché à ma vue par le coin du couloir : "En v'là un !", j'aurais dû me méfier.
Mais le gosse s'est avancé vers moi et m'a tendu un petit folder portant comme titre le texte exact de ma participation au défi de ce samedi (Je réfléchis) et m'a dit : "C'est pour la sécurité routière M'sieur !"
Quand il a ajouté : "Et vous pouvez acheter un plus gros document pour vingt cents à mon copain, là" , j'aurais dû me méfier.
Mais bon, vingt cents, si ça pouvait leur faire plaisir...
Je file donc la pièce ad hoc au comparse qui me tend un opuscule dont il possède une série soigneusement rangée sur un banc. Il empoche le fric et je m'éloigne tandis qu'il crie à la surveillante de la garderie : "J'ai déjà quatre euros !".
Comme Louise ne semble pas sortir de son atelier théâtre, je jette un œil au fascicule.
Il est intitulé "Tuyau pour une bouteille" et porte le sigle de la ville de Bruxelles (une silhouette de Saint Michel terrassant le démon). Jusque là, rien d'anormal.
La quatrième de couverture m'intrigue déjà plus : elle est semée de logos de sponsors, dont la firme qui m'employait jadis, avant que je ne prenne ma retraite.
J'ouvre la chose et la parcours et là, j'ai bien dû me rendre à l'évidence : je m'étais fait avoir comme un bleu (ou un con, c'est sans doute cela que sous-entendait le "En v'là un !") !
Le machin est une sorte de plaquette distribuée gratuitement aux habitants de ma bonne ville pour annoncer une action de collecte de bouteilles en plastique. Action destinée à préparer la population à l'adoption du tri sélectif. Action qui s'est déroulée en... 1992 !
Dans quelle cave obscure ont-ils déniché ce stock de brochures ? Dieu seul le sait.
Mais j'ai au moins appris une chose : la raison pour laquelle l'établissement que pratique Louise est appelé "d'enseignement spécial".