Dieu
Je parcourais le blog de Tiphaine, celle qui murmure à l'oreille de Dieu (car elle le rencontre souvent).
Bien qu'elle lui parle, la nature même de ce Dieu ne semble pas lui avoir été révélée très précisément. Elle nous le décrit tantôt comme un vieillard distributeur d'amandes, tantôt comme un verre de vin du Trentino, tantôt sous les traits d'un joueur de saxo.
Pourquoi pas après tout, ce n'est pas pire que le fumeur de Havanes imaginé par Gainsbourg.
Moi, voyez-vous, je pencherais plutôt pour une sorte d'infini principe féminin. À la rigueur, s'il faut vraiment faire de la peine aux musulmans qui en interdisent la représentation, je verrais bien une somptueuse grande femme, noire de préférence...
C'est à ce point de mes pensées que m'est revenue une autre image, utilisée par Saint-Exupéry, dans un bouquin que je n'ai eu aucun mal à retrouver parmi les quelques milliers qui encombrent mon appartement. Ceci dans le but de vous en donner la citation exacte. C'est là que ça s'est gâté ! Le machin fait plus de cinq cents pages d'une typographie serrée. On comprend pourquoi Amélie n'est pas dans l'écurie Gallimard.
Revenons à Dieu (je n'ai pas osé mouton). La citation est la suivante :
Mais au sommet de la montagne je ne découvris qu'un bloc pesant de granit noir - lequel était Dieu.
C'est en empoignant et feuilletant cet ouvrage que d'autres souvenirs me sont revenus.
D'abord, l'exaltation que j'avais éprouvé à le lire. Le style en est très particulier, il a ce ton qui rappelle "Ainsi parlait Zarathoustra" de Nietzche et, dans une moindre mesure, "Le Prophète" de Khalil Gibran.
Ensuite l'endroit et l'époque où je l'avais lu. C'était à la fin de l'année 1964. J'étais caserné à Etterbeek. Il faisait un froid de canard et, comme j'étais brigadier (c'est ainsi qu'on nomme les caporaux à l'artillerie) on m'avait collé sergent de semaine. Faut vous dire qu'au bataillon administratif, l'officier de semaine était un adjudant, l'adjudant un sergent et le sergent... je viens de vous le dire. J'avais donc un local réservé et... strictement rien à faire de mon temps, si ce n'est faire respecter l'heure du coucher par les quelques rares ploucs dépourvus d'autorisation de loger ailleurs. J'ai donc lu, en grosse partie à voix haute, cet ouvrage très particulier. Qu'est-ce qu'on peut faire comme conneries quand on est jeune !
Enfin, si vous jetez un oeil à la photo, vous verrez que le livre a été bien des fois manipulé et aussi que, comme il était de tradition à l'époque, avait été vendu non rogné. Cette façon de faire permettait à quelques bibliophiles de faire relier leurs ouvrages et de les mettre à la dimension des rayons de leur bibliothèque. Il fallait donc se munir d'un coupe-papier pour découper les pages au fil de la lecture. Cela vous donnait le temps de mettre un peu d'ordre dans vos pensées.
Ce qui est étonnant, c'est qu'il m'a fallu prendre le livre en main pour que ce détail me revienne à la mémoire. Pourtant, Dieu (encore lui) sait si j'en ai pratiqué de ces césariennes à mettre au jour les idées !