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1 mars 2008

Nany

Chourik0001Sur injonction de la compagne de mon fils, j'ai lu, toutes affaires cessantes, l'ouvrage ci-contre. J'en extrais un tout petit passage, à l'usage de tout qui voudra le trouver intéressant et, plus particulièrement, de quelques voisins de la blogosphère que ce genre de question semble tarauder.

"Élisavéta Ivanovna, elle, ne savait absolument pas être malheureuse, peut-être parce que son énergie pragmatique ne lui laissait pas le temps de réfléchir à des choses aussi abstraites et peu pratiques que le bonheur..."

En lisant cet ouvrage, une chose m'est apparue clairement : que ce soit dans celui-ci, dans Gogol, Tolstoï, Pouchkine, Vainer ou Fedorovski, l'âme russe m'est impénétrable et pourtant...

J'ai eu un oncle russe !

Je sais, pour vous, cette révélation doit être à peu près équivalente à "J'ai eu un ongle incarné" et vous amènera peut-être à réfléchir à Jésus qui, lui aussi, l'était, incarné. Rien n'est jamais perdu...

Mais foin des digressions oiseuses : j'ai eu un oncle russe ! Ce n'est quand-même pas donné à tout le monde, surtout parmi les gens de ma génération où les communications avec la Russie n'étaient pas des plus aisées.

Cet oncle m'est venu par alliance . Il avait épousé la soeur de ma mère, veuve de guerre et mère de cinq enfants. Quand je vous disais que l'âme russe m'est impénétrable ! Vous auriez osé, vous ? Lui, il l'a fait.

Son vrai prénom était Constantin, mais on le nommait Constant et, pour la grosse majorité de notre famille, Nany (l'orthographe n'est pas garantie, je n'ai jamais vu ce surnom écrit). On le devinait slave : pommettes saillantes, joues rouges, regard volontaire. Il n'a pas dû rigoler tous les jours, particulièrement au début où ça ne se passait pas tout seul avec les plus âgées des filles. Mais il était toujours calme et avenant.

Cet homme que, personnellement, je n'ai jamais vu s'emporter, vouait une adoration sans borne à ma tante. Quand il parlait d'un des enfants de cette dernière, il disait invariablement "notre ...". Et il avait quelques comportements qui m'enchantaient.

Il mélangeait les graines de ses légumes avant de les semer à la volée, prétextant que cela rendait plus difficile la prolifération de certains parasites. Ça n'allait quand-même pas jusqu'à faciliter les choses au moment de la récolte.

Enfant de Russes "blancs", émigré au temps de la révolution, il vouait une certaine inimitié aux communistes (la haine féroce n'était pas dans les possibilités de son caractère aimable), mais ne pouvait s'empêcher de me faire admirer les prouesses techniques de son peuple d'origine.

Quand nous débarquions chez lui, souvent à l'improviste, il se lamentait de n'avoir rien à nous offrir à manger, tout en extrayant de la cave, pains, beurre, confitures, charcuteries, tartes et gâteaux divers.

Ma tante ne jouant pas aux cartes, il profitait de la présence de mes parents pour faire d'inénarrables parties de Piquet "voleur" dont il était invariablement le perdant. Le jeu de Piquet est dit "voleur" lorsqu'on le joue à trois parce que bien que donnant lieu à des scores individuels, il est régulier que deux joueurs s'y allient pour amener la perte du troisième.

Lorsque dans les fêtes de famille, il dansait avec ma mère, il se vantait de ses capacités dans ce domaine, oubliant que, contrairement à sa soeur aînée, il n'avait pas connu les salons de Saint-Pétersbourg. Ça s'est calmé le jour où, au cours d'un tango renversé, il l'a basculée au sol d'un jeté de hanche digne d'un judoka.

Il repose, en contraste ultime aux plaines immenses de son pays natal bien aimé, dans un petit cimetière pentu accroché sur les hauteurs d'une berge mosane. Il passait devant chaque jour, lorsqu'il travaillait dur pour élever "ses" enfants, chevalier improbable, monté sur une antique mobylette pétaradante, enveloppé d'un nuage de fumée bleue.

Merci, Agata, de m'en avoir fait souvenir.


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