Arthur est mort
Je vous entends venir : "Ouais, et Camelot est en ruines !"
Mais il ne s'agit pas de cet Arthur-là, ni d'ailleurs de celui qui sévit sur les chaînes françaises (dommage diront quelques langues de vipère).
Non, il s'agit d'un de mes premiers chefs, au labo. Un cas !
Il était originaire du bas-Laeken, comme Annie Cordy (Leonia Cooreman) aujourd'hui baronne. Il avait sept ans de plus qu'elle, je vous laisse vous débrouiller avec son âge à son décès (pour son âge à sa naissance, je ne vous demande rien).
Il avait conservé le truculent accent local et appelait tout un chacun "fieu" ("fils" en brusseleir), sauf sa hiérarchie, bien entendu, on ne plaisantait pas avec les marques de respect à l'époque. Quand il vous parlait de vos propres collaborateurs, il disait "vos sbires".
Il aura bien résisté, lui qui blêmissait lorsqu'il tombait sur le journal (négligemment disposé à son intention sur le coin d'une paillasse) annonçant "Nat King Cole meurt à quarante-six ans !"
Dans ses labos, il y avait une ambiance folle. Surtout quand il n'était pas là. Chez nous, les labos portaient des numéros, si bien que quand on nous demandait où nous travaillions, nous répondions "au Stalag 12". Quand un nouveau débarquait (c'était fréquent dans ces Golden Sixties) et qu'il sortait, gonflé à bloc, du bureau vitré d'Arthur, nous lui serrions la pince, l'air contrit, en murmurant "condoléances".
Les quelques années que j'ai vécues sous ses ordres ont quand-même été parmi les plus joyeuses toute de mon existence. C'est qu'à l'époque, voyez-vous, nous étions jeunes (pour certains), nous étions fous (pour tous), ça aide.
Parmi les innombrables anecdotes que son décès m'a remises en mémoire j'en ai sélectionné une, bien gentille :
Un jour notre ami Jean (celui dont je prétends régulièrement qu'il est le père de mon fils, mais ceci est une autre histoire) se paie une hépatite.
Au bout d'une quinzaine de jours, le chef se fend d'une visite à son domicile, question de voir si ça va encore durer longtemps, imaginons-nous.
Il se pointe, sourire aux lèvres, salue femme et enfants (lesquels trouvent le gaillard charmant, "Mais qu'est-ce que tu nous racontes ? Il est très gentil ton chef !") et pérore à qui mieux mieux pendant quelque temps, buvant force café et dévorant moult biscuits (gâteaux pour les Frenchies).
Sur le point de sortir, il avise un bocal muni de son poisson rouge et déclare aux enfants : " Il est marrant votre poisson, il a un nom ?".
Le chœur des gosses : "Arthur !"