Enfer et damnation
Suite à ce déménagement qui m'avait donné le bonheur de rencontrer Maria, je débarquai dans une nouvelle école primaire. C'est là que, pour la première fois, j'ai rencontré Dieu (ou, en tout cas, son représentant).
Paradoxalement, bien qu'ayant été baptisé, je n'en avais jamais entendu parler avant.
En fin de matinée de mon premier samedi dans cette nouvelle école, le curé du patelin a débarqué, s'est installé au bureau du "maître" et nous avons commencé à lire un des chapitres d'une sorte de condensé de la Bible à l'usage de la jeunesse laborieuse.
Quand j'y repense aujourd'hui, cela ne laisse jamais de m'étonner : l'école appartenait au réseau communal, officiel donc, et personne n'avait consulté mes parents sur la question de l'enseignement religieux. Moi, ça faisait mes affaires : un bouquin de plus à lire ! Il était illustré car je me souviens d'une gravure qui m'avait fort frappé : on y voyait Absalom pendu par les cheveux à son chêne tandis que Yoav s'apprêtait à le transpercer de sa lance.
À ce point de l'histoire, ça restait amusant : ce n'était qu'une... histoire.
C'est devenu moins drôle lorsque commença la préparation à la communion solennelle. Par tradition peut-être, mes parents qui ne s'étaient mariés que civilement, tenaient à ce que je la fasse. Me voilà donc embarqué dans la catéchèse avec l'irruption du bien et du mal, du péché, du châtiment, du paradis, du purgatoire, de l'enfer, des limbes même !
Une vision du monde bien dans la ligne du Dieu jaloux, vengeur et vindicatif de l'ancien testament. Le tout enseigné par un prêtre asthmatique qui se fût trouvé mieux dans une maison de retraite qu'au milieu d'enfants turbulents et d'acolytes buveurs de vin de messe.
Durant cette période, je me posais une étrange question : "Si Dieu me proposait d'envoyer tout le monde au paradis moyennant ma propre damnation éternelle, accepterais-je ?"
Interrogation stupide s'il en est. On ne sait que trop bien depuis la femme de Lot comment Dieu conclut ses marchandages.
N'empêche qu'au bout de deux ans de pratique religieuse et d'endoctrinement, je rêvais de devenir prêtre. Ne fut-ce que pour l'étonnant prodige de faire surgir Dieu au bout de mes doigts par une sorte de formule magique.
Le curé ne se tenait plus de joie, il rendit même visite à mes parents pour s'enquérir de leur éventuelle acceptation de ma vocation (précoce, faut-il le préciser). Ceux-ci n'élevèrent aucune objection, pour peu que ce fût réellement mon choix et, à mon intense stupéfaction, parlèrent même de régulariser leur mariage au plan religieux.
Par bonheur, il y avait le célibat des prêtres et... Maria !
Bien que je n'eusse pas encore à l'époque embrassé la moindre fille (et il s'en faudrait de longtemps encore) mon imagination fertile me fit entrevoir ce que pourrait avoir d'insupportable toute une vie à l'écart des femmes. Cela mit une fin abrupte à ma vocation.
C'est depuis lors que je voue à la gent féminine une gratitude et une admiration sans bornes.