Tout ça pour ça
Une sorte de petite brume se lève du sol pour y retomber mollement, c'est à peine si elle voile un peu le brillant des chaussures de l'opératrice.
Je pense à la fois au "Didn't he Ramble" de Louis Armstrong (Ashes to ashes, dust to dust) et à la vanité de nos existences.
Bye bye Héliette !
Effacés la vie sur les péniches, les transport de messages pour la résistance, les rencontres avec les GIs, la bohème parisienne, les mariages, les croisières...
Oui, elle était bavarde et aimait évoquer pour nous une existence pour le moins... agitée.
Dans sa chambre, une toile peinte à Montmartre en soixante-cinq la montre dans sa trente-septième année, sûre de sa beauté, nue, les bras croisés derrière la nuque, question sans doute de relever encore le côté provocant de ses seins. Elle vous fixe droit dans les yeux et sous ses cheveux auburn, ne sourit pas.
Ses nièces, mal à l'aise devant la chose, ont pensé découper la toile et l'envoyer avec elle à l'incinération. Finalement, elles y ont renoncé.
Ah, ses nièces ! Pour préparer la cérémonie elles m'avaient demandé de leur dégoter de la musique avec, obligatoirement un "Ave Maria".
Me référant à sa vie d'enfant de bateliers, je leur ai proposé en plus "Le chaland qui passe" et, pour sa fréquentation des Américains le "Moonlight Serenade" de Glenn Miller. Je leur ai donc dégoté aussi un enregistrement d'un Ave Maria par Pavarotti et l'inmanquable Aria de la suite n°3 de Bach.
J'ai envoyé les adresses des fichiers Youtube correspondants à la société des pompes funèbres, pensant que les nièces discuteraient avec eux de l'ordre dans lequel passer les différents enregistrements en fonction de la cérémonie qu'elles envisageaient, mais bernique : ils ont tout laissé dans l'ordre où je les avais mis dans mon message.
C'est la première fois que je règle l'accompagnement musical d'une cérémonie dans un crematorium sans même savoir ce qui va s'y passer. Pour tout dire, c'est la première fois tout court.
Je ferais peut-être bien de m'occuper du déroulement de la mienne, on est si vite transformé en petit nuage de poussière !