Jean
Hier, mon épouse et moi nous trouvions chez Makro pour y faire des courses, fête d'anniversaire oblige.
Au rayon vins (où aurait-ce pu être d'autre ?), je l'aperçois. Il lève la tête, me regarde l'air incrédule, puis me sourit. Il pousse vers nous son charriot contenant en tout et pour tout un pack d'Orval et une caisse de Médoc (non, Monsieur, le mien ne contenait à cet instant qu'une rame de papier A4, parfaitement !) et s'arrête à notre hauteur. Des années que nous ne nous sommes plus rencontrés.
Le moment de surprise passé, nous échangeons les informations d'usage entre personnes de nos âges :
- perte de pancréas et le traitement subséquent
- ablation de prostate
- débouchage des uretères
- traitement par cortisone de HSF
- ennuis de genoux
- charcutage d'urgence de hernie discale
- aventures avec le SAMU
- transfusions sanguines
- régimes alimentaires stricts et les entorses y afférant
Bien sûr, nous avons négligé quelques détails (phlébites, hypertension, vue qui baisse, poids qui monte, etc) pour enfin constater que pour l'instant : tout baigne !
Nous sommes tous deux chimistes et nous travaillions pour la même société. Quand nous nous sommes connus, il dirigeait les groupes d'intervention (électricité, tuyautage, etc) je faisais dans l'analyse par rayons X. La chimie mène à tout !
Je lui ai fait découvrir le squash (mal m'en a pris, après deux semaines il m'écrasait régulièrement malgré qu'il fût de cinq ans mon aîné). Nous sommes devenus amis. Chaque matin je passais le saluer dans son bureau tout en prenant un thé à la menthe préparé par Momo, un de ses ouvriers.
Un jour, il m'a parlé des problèmes de gestion du garage que tenaient sa fille et son beau-fils. J'ai proposé de lui écrire un programme en dBase (compilé sous Clipper). Au début, ça fonctionnait bien : il me décrivait les écrans de saisie désirés, les rapports à établir, je construisais les tables nécessaires et le mécanisme d'exploitation sous-jacent. L'ennui, c'est que nous faisions ça chez lui quelques soirs par semaine et qu'après l'apéro et le petit dîner arrosé de Larose-Trintaudon (son Médoc favori), tandis que nos épouses discutaient au salon, nous n'avions plus les idées très claires ni beaucoup de temps disponible pour la programmation. J'ai donc décidé d'achever la chose chez moi, ça a tout de suite progressé plus rapidement. Certainement un des rares programmes où la gestion de stock autorisait l'introduction "en stoemelings" de pièces de récupération !
Mis en appétit par le bon fonctionnement de la chose, il m'a ensuite demandé de lui écrire un petit machin pour gérer son boulot professionnel en attendant que les mecs du département informatique le fassent dans SAP. En quelques semaines, je lui ai écrit un programme qui gérait tout : demandes de travail, pointages du personnel, gestion des contrats de sous-traitance, gestion du stock, facturation des travaux etc, etc. Cela a tourné pendant quatre ans au cours desquels il connaissait au jour le jour ce que la comptabilité officielle lui apprenait après deux mois avant que les mecs du SAP ne pointent leur nez.
Entre temps, nous avons joué au squash, participé à des tournois, séjourné en Bourgogne (ah, le Bâtard-Montrachet et le Saint-Aubin !), vécu des soirées mémorables. Son épouse s'appelle Hildegarde, une dame délicieuse, aussi calme et gentille qu'il est soupe au lait, vraiment bien assortis, oui !
Pour conduire ma fille à son mariage, j'ai eu droit à une BMW bicolore à plancher en bois et phares sur les garde-boue. Jean et son beau-fils avaient dû monter d'urgence la nuit précédente une pompe à essence électrique pour la faire démarrer.
Un jour, il a quitté la société, nous nous sommes encore vu deux ans puis, pris par ses nouveaux boulots, il a disparu.
Hier, je lui ai donc filé nos numéros de téléphones, il va nous rappeler : un de ses petits-fils a ouvert un resto dans le Brabant flamand. Encore quelques entorses à quatre régimes en vue !