Une brique dans le ventre
Le Belge est réputé avoir "une brique dans le ventre".
Je dois être un mauvais Belge car je ne suis propriétaire d'aucune brique. Pourtant, un jour, j'en ai eu une. Une que, pour tout dire, j'avais fabriquée moi-même. Hélas, je ne l'ai plus, elle a été intégrée à un muret...
Un jour, notre instituteur nous emmène voir la briqueterie locale. En émigré carolorégien habitué aux industries lourdes je fus fort étonné en arrivant sur les lieux de ne découvrir aucune construction, seulement quelques individus qui s'activaient au bout d'un champ.
En gros, les gaillards procédaient comme suit : ils tassaient dans des moules de l'argile extraite sur place. Ils démoulaient les briques crues et en constituaient des lits séparés par des claies. Ils arrêtaient de superposer les lits lorsqu'ils avaient obtenu un édifice qui, selon mon souvenir, devait faire une surface au sol de grosso modo six mètres sur trois et une hauteur d'environ deux mètres. Plusieurs de ces parallélépipèdes étaient alignés côte à côte. Il arrivait un temps où les briques du tas le plus ancien étaient sèches. C'est alors qu'ils le démontaient pour le reconstituer un peu plus loin en alternant couches de briques et de charbon.
Nous n'avons pas assisté à l'allumage ni à la cuisson (elle durait plusieurs jours). Lorsque nous sommes arrivés, ils étaient en train de trier leur dernière production. Il faut dire qu'avec cette méthode artisanale, la qualité était très irrégulière. Entre les briques fendues, tordues, friables, partiellement vitrifiées, le rendement n'était pas terrible.
Nous avons donc interrogé les ouvriers, puis nous sommes repartis non sans emporter, le cancre de service et quelques costauds aidant, quelques seaux d'argile.
Rentrés à l'école, le maître nous a déclaré : pour demain, vous apporterez une petite caisse ou boîte pas trop grande, nous allons fabriquer des briques.
Rentré chez moi, la puce à l'oreille, je demande à mon père : "Pourrais-tu me fabriquer une petite boîte sans couvercle de dimensions intérieures 6x4x2 cm ?" "Un jeu d'enfant", me répondit-il et en quelques minutes, la chose était faite à partir d'une boîte à cigarillos.
Le lendemain à l'école, bingo ! Fallait calculer le volume de la boîte. J'ai eu fini le premier.
La suite fut moins drôle, nous avons rempli nos boîtes d'argile bien tassée, démoulé, nous avons pesé nos briques crues, déduit la densité de l'argile, constaté qu'elle n'était pas la même pour toutes les briques etc.
Après ça, nous avons mis à sécher nos briques dans la grande salle voisine de notre classe.
Nous les avions presque oubliées lorsqu'un jour l'instituteur nous annonça "Nos briques sont sèches, nous allons les cuire. Dans le poêle nous avons empilé papier, bois d'allumage, charbon, briques, charbon... et nous avons bouté le feu.
Le lendemain, nous avons extrait nos briques du poêle refroidi. Beaucoup, surtout les plus grosses, avaient éclaté. La mienne, la plus petite de toutes avait résisté. Nous avons repesé et remesuré celles qui étaient entières. Vous savez quoi ? Elles avaient rétréci ! J'ai dû passer au calcul écrit...