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Entre nous
18 janvier 2009

Rutebeuf

Régulièrement je me surprends, comme ce matin encore, à fredonner cette chanson adaptée par Ferré d'après Rutebeuf :

Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte
Ce sont amis que vent me porte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta

Avec le temps qu'arbre défeuille
Quand il ne reste en branche feuille
Qui n'aille à terre
Avec pauvreté qui m'atterre
Qui de partout me fait la guerre
Au temps d'hiver
Ne convient pas que vous raconte
Comment je me suis mis à honte
En quelle manière

Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
Ils ont été trop clairsemés
Je crois le vent les a ôtés
L'amour est morte
Le mal ne sait pas seul venir
Tout ce qui m'était à venir
M'est advenu

Pauvre sens et pauvre mémoire
M'a Dieu donné, le roi de gloire
Et pauvre rente
Et droit au cul quand bise vente
Le vent me vient, le vent m'évente
L'amour est morte
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta

Je vous livre un extrait (à peu près équivalent) de la complainte originale :

rutebeuf1

Li mal ne sevent seul venir;
Tout ce m'estoit a avenir,
S'est avenu.
Que sont mi ami devenu
Que j'avoie si pres tenu
Et tant amé ?
Je cuit qu'il sont trop cler semé;
Il ne furent pas bien femé,
Si ont failli.
Itel ami m'ont mal bailli,
C'onques, tant com Diex m'assailli
En maint costé,
N'en vi un seul en mon osté.
Je cuit li vens les a osté,
L'amor est morte.
Ce sont ami que vens enporte,
Et il ventoit devant ma porte
Ses enporta.
C'onques nus ne m'en conforta
Ne du sien riens ne m'aporta.
Ice m'aprent
Qui auques a, privé le prent;
Més cil trop a tart se repent
Qui trop a mis
De son avoir pour fere amis,
Qu'il nes trueve entiers ne demis
A lui secorre.
Or lerai donc fortune corre
Si entendrai a moi rescorre
Si jel puis fere.

J'admire que nous puissions entendre encore, avec difficulté certes, cette langue du treizième siècle, plus proche de nos patois que de notre langue officielle. À Mons, on dit toujours "il ètoit" pour "il était" et dans presque toute la Wallonie, on dit "costè" ou "costé" pour "côté".

Mais mon propos n'était pas là, cette digression ne m'est venue qu'en promenant à travers le Web ma curiosité de vieil enfant.

Revenons donc à la chanson :

Que sont mes amis devenus
Que j'avais de si près tenus
Et tant aimés
[...]
Ce sont amis que vent emporte
Et il ventait devant ma porte
Les emporta

Chaque fois que je l'entends ou qu'elle me vient à l'esprit par un mécanisme aussi obscur qu'impénétrable, une affreuse crainte m'envahit. Oh ! Pas qu'un jour mes amis m'abandonnent. C'est, hélas, dans l'ordre des choses.

Ce que je crains par dessus tout, c'est d'être un jour, moi-même, un de  ces amis qu'emporte le vent.


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Commentaires
A
je découvre cet univers avec beaucoup de plaisir, et si vous le permettez, je vais vous mettre en lien sur le blog d'écriture .. <br /> Quant à ce poème de Ruteboeuf, je le connais chanté par Nana Mouskouri, que je préfère à Léo Ferré, trop "cru" pour mon goût <br /> Amitiés
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W
Bien sûr, Tilu, mais Rutebeuf est plus précis que Ferré : il parle des amis des beaux jours qui brillent par leur absence lorsque vous en auriez besoin.
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T
Comment sait on qu'un ami vous a oublié? <br /> Ce n'est pas parce qu'on n'échange pas qu'on s'oublie....
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C
Je pense que oui, peut-être parfois on est celui ou celle qui laisse tomber l'autre...<br /> La vie...<br /> Est-c que l'autre souffre autant que moi je souffre à cause d'une amie qui m'a laissée tomber?<br /> On va pas comparer les souffrances...mais sans doute que oui...
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W
M'oublier, peut-être pas, Papistache. Mais rester mon ami...
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P
Est-il vraiment possible que vous ayant croisé un jour, quelqu'un ait pu vous oublier, Walrus ?
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J
Y a Nana Mouskouri et Joan Baez qui chantent aussi... !!!
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J
On me cite souvent Ferré, mais je ne le connais pas du tout. J'ai cherché sur YouTube, voici ce que j'ai trouvé :<br /> <br /> http://www.youtube.com/watch?v=UJjexDFbbmE<br /> <br /> Merci Walrus !
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V
Je pense que bien souvent l'oubli est réciproque.
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T
C'est vrai que les patois ressemblent à cette langue du XIII°siècle...<br /> Avec ce billet, me voilà en train de repenser à tous ces gens (amis?) que j'ai croisés un temps et qui sont oubliés depuis longtemps... La faute à qui? ou à quoi? A la vie qui passe, tout simplement...
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J
Il resonne en moi ce billet.<br /> <br /> *...sonne... moi... llet... llet... llet*
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C
Les blessures d'amitié sont terribles et vous avez raison. C'est pire d'être celui qui oublie...
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