Lisbeth (en hommage à Stieg Larsson)
Déjà quand il n'y avait que des allumettes, fussent-elles suédoises, le métier était dur ! Mais là, maintenant, à l'époque des briquets et des allume-cigare, ce n'était vraiment plus une vie. Il y aurait d'ailleurs beaucoup à dire sur le bien fondé de tenter de fourguer un produit suédois à des Danois si obstinément enfermés dans leur nationalisme étriqué...
La petite marchande d'allumettes le ressentait jusque dans la moelle de ses os glacés : elle allait finir comme son arrière-arrière-arrière-grand-tante. Salaud d'Andersen ! Faire ses choux gras, en le romançant (pour Noël, vous vous rendez compte!), d'un fait d'hiver sordide : la mort d'une enfant.
Elle, encore, bénéficiait du réchauffement climatique et des cartons rejetés par les grands magasins. Mais quand la neige se mit à tomber doucement, c'en fut trop ! Lourde hérédité ou pulsion surgie des profondeurs du ça, elle décida, elle aussi, de brûler son fonds de commerce. Comme sa parente : allumette par allumette.
Mais il lui manquait ce côté mystique, cette faculté, ce don de s'émerveiller d'un rien. Elle n'entrevoyait dans le halo fugace des bâtonnets enflammés, ni chaleur, ni grand-mère, ni paradis.
Pourtant, à l'avant-dernière, vague lueur d'abord, une idée lumineuse germa puis grandit, grandit, jusqu'à prendre possession de sa pensée toute entière. Une formidable détermination la saisit. Elle se dressa, empoigna ses cartons et se dirigea vers les locaux de l'éditeur de ce maudit H.C.
Parvenue devant l'orgueilleuse porte en chêne, elle y entassa son bagage et gratta la dernière allumette. Elle aurait bien chaud cette nuit !