Gauguin
Sur ce coup-là, vous devrez me croire sur parole : mes parents ne sont plus là pour confirmer. Ils disaient que, dans mon jeune âge, j'étais un enfant charmant, calme, obéissant et tout et tout, mais... Car il y a toujours un "mais", n'est-ce pas ! Ils m'avaient surnommé, à cette époque de mon existence, "Monsieur pourquoi".
Le front contre la vitre froide des trains à vapeur, je m'inquiétais du pourquoi de tout ce qui défilait dans le paysage : les rivières, les chassis à molette, les laboureurs aux champs, l'animation dans les usines, les grosses conduites de gaz, les chatons sur les saules : pourquoi ?
Au retour c'était la nuit, mais ils n'étaient pas sauvés : pourquoi la lune suit-elle obstinément notre train, sautant par-dessus les bois et les toits, réapparaissant à la sortie des tunnels, ressurgissant de derrière un nuage ?
Et toute réponse amenait immanquablement un autre "Pourquoi ?"... Charmant, mais lassant, souvent.
Un jour, avançant en âge et remontant inlassablement la chaîne de ces questionnements en cascade, je suis parvenu à l'ultime question : "Pourquoi suis-je là ?"
À cette question, il ne me fut donné aucune réponse satisfaisante. La grande lignée des "pourquoi" ne menait qu'à une infinie déception. Alors, résigné, je me suis rabattu sur les "comment" et j'ai viré scientifique. De cette chaîne-là non plus, on ne voit jamais le bout, chaque réponse amène cent nouvelles questions, mais... Car il y a toujours un "mais", n'est-ce pas !
Mon enfance grisée du désir de savoir s'est arrêtée, stupide, au fond d'un cul-de-sac étouffant.